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Le jour J est arrivé, Belles à tout prix sort en librairie aujourd’hui 1er juin. C’est un sentiment étrange de voir l’aboutissement d’une aventure. Je ne sais pas comment j’ai inventé une histoire pareille. Ce que je sais, en revanche, c’est que j’ai imaginé l’enfance de chaque personnage, jusqu’au plus infime d’entre eux, pour qu’ils soient crédibles et que les dialogues sonnent juste. Écrire une comédie est un des exercices les plus durs, surtout au niveau du rythme. Faire pleurer, c’est bien plus simple.
J’ai l’impression d’être une marionnettiste qui abandonne ses personnages. Je leur souhaite longue vie.
Dernière confidence : j’avais en tête une Maggie Smith fouineuse pour visualiser ma Bretonne Marie-Claude, chef de classe dans l’âme, et Kate Winslet en Isabelle, sa nouvelle amie. Il se passe de drôles de choses dans le spa andalou où elles ont atterri !
#bellesatoutprix #albinmichel
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Les trois mousquetaires : d’Artagnan
Nous sommes allés voir le film de Martin Bourboulon, non sans a priori : pouvait-on mieux faire que George Sidney avec sa Milady de rêve (Lana Turner), son Richelieu roué (Vincent Price), son Athos torturé (Van Heflin) et la fraîcheur de Gene Kelly dans le rôle titre ? Surprise ! ce film, s’il ne possède pas le panache primesautier de l’Old Hollywood, est envoûtant de bout en bout. Les scènes de groupes sont grandioses - pensées spéciales au tribunal jugeant Athos, du Rembrandt, et au mariage de Gaston d’Orléans qui lorgne vers les maîtres italiens,
festival de gris scintillants et de blancheur translucide. Ce film déploie une amplitude, une souplesse dumasiennes, même s’il le solennise parfois un peu trop. Les acteurs sont excellents, la juvénilité de François Civil/d’Artagnan apportant beaucoup à ce film délibérément sombre. Romain Duris transforme Aramis en pirate raffiné ; pourquoi pas, c’est assez jésuite ; Cassel compose un Athos tout en sensibilité et Louis Garrel donne au roi une présence dense, mystérieuse, éclipsant Richelieu. Eva Green, crépusculaire Milady, possède une aura cruelle autant que psychotique.Martin Bourboulon a bénéficié d’un énorme budget. Il aurait pu le gâcher, il en fait une épopée prenante, luxueuse et pessimiste. Léger bémol, les duels, traités comme des séances de kung-fu mâtinées de rugby. Là, on regrette la science des maîtres d’arme des films de cape et d’épée. Mais pour les chevauchées extraordinaires dans la campagne ou le long des falaises, on est prêts à les oublier. On se laisse envahir par un Dumas troublant, élégant, une époque dangereuse et crottée à l’apparat éblouissant.
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La publicité a une fois de plus marché à plein rendement pour célébrer Anéantir avant même sa parution. Michel avait mis quatre ans à écrire ce roman d’anticipation autofictif, autant dire qu’il était attendu comme le messie de notre temps. Notre temps, justement : le livre se passe en 2026 et est censé dessiner, comme d’habitude, un panorama au scalpel de nos us et coutumes. Le livre de 750 pages est immédiatement placé en tête de gondole pour s’offrir, tel un objet de luxe, aux fans du gourou. Ouvrage blanc, élégant, sans quatrième de couv (trop vulgaire), le titre gravé en rouge sang, marque pages à l’avenant.
Les premières pages sont engageantes, Houellebecq est un fin styliste du désespoir et l’ironie est d’emblée présente. L’histoire se résume à la vie d’un haut fonctionnaire, Paul Raison et à son amitié discrète avec un ministre de l’économie, Bruno Juge, sur fond de menace terroriste. Il paraît que Bruno Le Maire se rengorge d’avoir servi de modèle à Houellebecq ; à sa place, nous ne serions pas loin du morts de honte. Après cette première dissertation sur les difficultés du pouvoir et le naufrage des couples qui s’étend sur 100 pages - les meilleures- , Houellebecq laisse tomber le sujet pour se focaliser sur un autre aspect du vivant, presque sans transition : les Ehpad (le père du Paul a eu un AVC). Nous avons alors droit à 200 pages de plaidoyer à la vie pour repartir dans le monde politique à la page 300. Fausse alerte, l’Ehpad n’a pas dit son dernier mot. Il est possible, voire souhaitable, de sauter de la page 300 à la page 500 sans rater aucun épisode majeur, à part souligner que le correcteur n’a pas fait son travail et que la tapisserie de la reine Mathilde devient trois pages plus tard la tapisserie de la reine Marguerite. On piétine. On piétine d’autant plus que Houellebecq rate avec sa constance habituelle les personnages féminins qui restent abstraits, flous, personnages qui, pour certaines, les plus déplaisantes, ressemblent à un règlement de compte de sa vie personnelle. Une scène de prostitution incestueuse qui ne sert à rien dans l’intrigue est gênante, c’est tout. Michel a sans doute voulu se faire plaisir. Et c’est là où le bât blesse : la paresse. Au lieu de dessiner un portrait de notre temps, Houellebecq sombre dans un 19e siècle mis au goût du jour. Il énumère nos maux qui ne sont pas des maux d’actualité. Sa misogynie féroce refuse de prendre en compte les multiples losanges du féminin, ce qui est d’autant plus dommageable pour la fin. Car oui, Michel tente de s’éveiller à l’amour durant les 100 dernières pages ; la politique, les attentats dont la révélation finale est consternante, les cours d’économie pompés chez les spécialistes du moment, l’état des vieillards après un AVC et la situation critique de la gérontologie, ce n’est que de la documentation, un conglomérat de dissertations pour arriver à son sujet final, l’amour et la mort. Ces lourds méandres aboutissent à une vision romantique et tronquée du couple et à son constat : il trouvera l’amour après la mort. Il convoque les romantiques allemands dans leur triomphe de ce qui aurait pu être sur ce qui a été, mais la femme aimée est si plate, si peu existante qu’il reste une certaine idée de l’amour. Rien qui vous prenne aux tripes alors que l’émotion devait enfin affleurer.
Bien sûr, les médias - le Monde en tête - applaudissent à tout rompre et encensent ce livre aussi plat que bien écrit. Le Balzac du 21e est encore à chercher. N’ayant jamais lu Vernon Subutex de Virginie Despentes, mais je compte vite rattraper ce retard, je me demande si ce n’est pas elle qui pourrait prendre la succession d’Honoré. Elle ou une autre. Mais pas Houellebecq.
En conclusion : j’avais été bluffée par La carte et le territoire et l’avait offert à mon mari. François avait détesté le livre pour les raisons que j’énumère plus haut. Mesdames, n’aimez pas les hommes qui apprécient Houellebecq ; c’est suspect. Quant à la mort de mon mari… elle fut autrement plus poignante que ces dernières pages.
Rédigé à 21:09 | Lien permanent | Commentaires (1)
Le récit de Camille Kouchner a été tant commenté deux jours avant sa parution que je pensais le lire en diagonale.
Au contraire de ce que j’imaginais, la précision du témoignage m’a beaucoup intéressée y compris dans son style (j’y reviendrai). C’est un court récit bien construit, divisé en trois parties et qui raconte l’explosion d’une cellule familiale aux adultes oscillant entre ricanements, crime, silence et insultes et aux enfants qu’on prive de transmission.
Le livre s’ouvre sur les funérailles de la mère et sur la description de jeunes quadragénaires désorientés qui s’identifient, loin des mondains et du beau-père, à un groupe de rock. L’image ne marche pas, c’est étrange... J’aurai la réponse à la fin.
La suite se déroule de manière chronologique, avec, au milieu du récit, la scène d’épouvante.
Camille Kouchner dresse le tableau d’une éducation sans écrire un seul jugement. Elle sait que pour qu’un témoignage ait de la force, c’est au lecteur de juger, pas à l’auteur. A nous de regarder cette pauvre famille.
Les médias parlent des parents proches, mais c’est plus grave : aucun parent ne tient debout, y compris la grand-mère.
Au delà du crime, nous sommes dans un environnement d’intellectuels qui s’encanaillent et qui trouvent très intelligent de passer ses vacances à poil devant les gamins en sifflotant dans un mauvais espagnol des airs révolutionnaires aux mélodies blaireaux-bigots tout en embrassant la grande enfance sur la bouche. Le premier mot qui me vient à l’esprit pour les qualifier est « ringard ».
Madame grand-mère, dont l’influence fut, semble-t-il, aussi toxique que celle d’Olivier et Evelyne, n’a qu’une idée en tête : enseignement et séduction tous azimuts. Dans la famille de Madame Grand-mère, les vieux ne meurent pas de maladie, ils mettent fin à leur jour. Le suicide est omniprésent. Ringards, ils le sont ces adultes des années 70 finissantes qui s’échinent à paraître flamboyants là où ils ne sont que pitoyables et ploucs. Leur propre révolte, que Camille décrit non sans admiration, m’apparaît très province et sans attrait. Il n’y a pas de beauté du diable. Les adultes ne se droguent pas en écoutant Dylan, Led Zep, Joplin ou Clapton ; ils picolent sur Julien Clerc ou les airs cucul des poètes sud-américains. Mais, suis-je bête, nous sommes en 87 et le banquet des gueux est passé. Pendant que les rock stars rangent leurs habits de lumière, que le mouvement punk est en train de disparaître, ne reste que le porno chic pour habiller les ors de la République.
J’ai connu ce milieu au début des années 2000 et j’ai été frappée par la justesse des descriptions de Camille Kouchner : j’avais été sciée par le manque de culture artistique de cette élite littéraire, nulle au niveau musical comme au niveau design. J’ai retrouvé cette impression de pèquenauds cérébraux pour lesquels seul le QI compte. Dans ces familles, le handicap cognitif est caché d’une manière bien plus monstrueuse que chez le Français moyen. Le plus incroyable est qu’ils se croient progressistes alors que ce sont des Louis-philippards en retard sur tout. Ces attardés nous ont gouverné, ces attardés nous éditent, d’où le malaise : ce sont eux qui créent les élites. Chez eux, pas de dernier de la classe. Mais chez eux, pas non plus de poésie ou de vraie créativité. Elle est même bridée par la mère, en dépit de ses postures bohèmes.
L’innommable est raconté avec pudeur, mais on sent la douleur qui grimpe jusqu’à la montagne finale.
La consolation vient du personnage de la fragile Marie-France Pisier, seule adulte à comprendre la gravité de la situation.
Le soulagement, lui, arrive avec l’énoncé de la Loi devant les jumeaux.
La Familia Grande est une déclaration d’amour à un frère - le vrai amour, celui-ci - et une question de survie pour son auteur. A la fin du livre, on comprend l’identification un peu artificielle au groupe de rock : hélas, on vous a volé cette identification, on vous a purement et simplement volé l’esprit de révolte.
Comment pardonner l’impardonnable lorsque les incriminés ne s’excusent pas ? Cette question cruelle hante le récit et ne trouve pas de réponse. La seule façon de s’en sortir est d’en faire le deuil.
Les phrases courtes, hachées, leurs terminologies en é donnent une impression de triste mélopée d’un livre dont on ne sait si on va le ranger dans la littérature enfantine ou la littérature classique. Une chose est certaine : non seulement il méritait d’être publié, mais c’est aussi un récit qui peut aider des parents face à la parole d’un enfant en détresse, qui peut aider à prévenir l’inconcevable.
Pour les coupables et ceux qui se sont tus : que votre nom n’existe plus.
Rédigé à 22:12 dans Actualité, Livres | Lien permanent | Commentaires (1)
Son nom balançait comme un air de rumba désuète, légère et gracieuse, et son sourire n'était que gaieté. L'homme a tout eu : l'enfance heureuse, les succès précoces des premiers de classe, le physique qui appelle la tendresse et le don d'observer la vie. Ce don précieux s'est exercé avec art dans la chanson. J'adore les textes des chansons écrites par Jean-Loup, ce sont des poèmes cachés sous les mélodies ; on peut les réciter sans musique, ils n'en sont que plus émouvants.
C'est sur des textes courts que Dabadie donnait le meilleur : une musicalité de la langue légère et cristalline, une originalité dans le choix des rimes, une fausse simplicité coulante, évidente, exquise de sensibilité.
Et puis l'homme, toujours bronzé, à la chevelure dense et vite blanchie qui encadrait un visage juvénile. L'ami idéal, le père idéal, le mari idéal, le gendre idéal, le travailleur idéal, le chouchou de l'enfance qui tient ses promesses de ne jamais déplaire et d'en taire le prix. Un Guitry de bonne humeur, si français, si charmant.
"Plaire, c'est faire plaisir" : vous ne nous avez pas déçus, irradiant nos tranches de vie de rires et de politesse, de textes qui ont largement mérité l'épée immortelle.
Que se passait-il, sous tant d'affabilité ? Sous la gaieté, première mélancolie, celle de l'adolescent trop en avance. Vous en parlez avec la précision des grands talents, racontant que votre précocité scolaire, bien loin d'être un atout, fut un cadeau empoisonné, un handicap qui a empêché l'intelligence de faire son travail de maturité et qui vous a conduit à être un brillant élève de mémoire plus que de puissance de raisonnement. Vous vous êtes aperçu à temps du piège pour vous jeter dans votre élément naturel, l'écriture.
Le charme de vos écrits est pétri de cette "avance en retard" qui vous a fait souffrir, mais qui, ici et là, parsème d'innocence votre sens de la poésie. Vous êtes-vous interdit à tort certains sujets ? Peut-être. Mais pour ceux que vous avez abordés, grâce vous soit rendue.
Impossible de vous voir octogénaire, impossible de vous savoir mort, vous êtes, pour l'éternité, des yeux clairs un peu tristes et un sourire de jeune premier.
Les princes charmants existent, en voici un qui s'appelait Jean-Loup Dabadie.
Rédigé à 15:21 dans Cinéma, Livres, Musique | Lien permanent | Commentaires (0)
Il a surgi l’été de ma naissance avec un tube ciselé pour la mélancolie amoureuse. Il l’a repris l’année de mes 16 ans, attrapant dans ses filets toute la génération 80 ; la rattachant aux années 60, avec une part plus sombre, plus âpre, plus sèche.
La mort de certains artistes vous empêchent de dormir, et celle de Christophe n’échappe pas aux dessins insomniaques. Je vois au moins trois Christophe se détacher : le jeune premier modèle de poche au regard très clair, à la blondeur dorée, aux traits fins taillés à la serpe, figé dans une posture Kirk Douglas tourmenté. Aux antipodes de la vision d’un minet. Déjà sophistiqué. Le deuxième Christophe, celui des mots bleus puis du succès fou a trouvé son ancrage définitif : la moustache, la crinière dégradée, le regard un peu figé des myopes qui disparaîtra bientôt derrière les lunettes noires, les vêtements au baroquisme plus ou moins discret qui lui donnent l’allure d’un Aramis étrange, d’un mousquetaire taiseux. L’esthète prend de l’âge, et avec les années, se dépouille presque jusqu’à l’os. Le visage se creuse, les expressions sont impénétrables, cachées sous les verres foncés ; plus l’homme vieillit, plus il se dénude, passant des chemises damassées aux tee-shirts décolletés. Et pourtant, en dépit de certains costumes semblables à des déguisements, nous avions sous les yeux un des plus authentiques artistes français. L’oiseau de nuit n’a rien trahi. Ni sa banlieue, ni ses passions, ni son parcours d’autodidacte. Il a taillé la route avec la simplicité des grands maniaques de la précision. Christophe, ce sont des enthousiasmes au millimètre, des interviews au milieu de la nuit synthétique, des rêves sur fond sonore, une cinéphilie obstinée, un goût pour la langue française et Sunset Boulevard. L’anti flou, en dépit de ses jeux de cache-cache et de son amour de l’obscurité - au contraire : fascinant de cohérence.
La France possède trop peu d’artistes de cette trempe-là. Celle des banlieusards devenus grands seigneurs. Mais s’ils sont devenus grands seigneurs, n’est-ce pas grâce à une fidélité à ce qu’ils ont été ?
Populaire et intimiste, voguant de Brassens à Alan Vega, pilotant ses Ferrari pour finir cloîtré volontaire dans son antre du 14e, chasseur de sons, chasseur d’images, la tête dans les étoiles mais les Santiags bien sur terre, le milord de Juvisy laisse ses admirateurs en plein chagrin.
Good bye, Christophe. L’homme qui sauvait de sa collection de disques « Mystery Train » d’Elvis avait forcément le style dans le sang.
Rédigé à 19:54 dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0)
Les épopées de quatre ou cinq tomes ne sont pas fréquentes, sous nos latitudes. Quand elles existent, les journalistes littéraires français ne se battent pas pour les mettre en valeur. Hélas. Ils croulent sous les ouvrages courts, alors une saga...
Et pourtant... Il y a douze ans, une jeune femme a créé La Passe-miroir dont le premier tome fut édité chez Gallimard jeunesse avant de se retrouver chez Gallimard tout court. Nous étions en 2013. Christelle Dabos, une trentaine d'années à l'époque, clouée à l'hôpital par un cancer de la mâchoire, a ouvert son imaginaire aussi puissant que corseté par ses douleurs physiques pour s'embarquer dans une légende, une quête allégorique sur fond de science-fiction. Avant de continuer la critique de ce bijou, je précise que je suis viscéralement allergique à la SF. Mais que je suis inféodée aux contes de fées. Et je suis tombée genou à terre devant ces livres que je qualifie plus de contes que de romans SF. Vendus à plus de 500 000 exemplaires depuis la parution du premier tome, primés en 2016 du prix Imaginaire Gallimard, traduits avec à la clé une avalanche de propositions de films, ces ouvrages, qui tiennent du phénomène littéraire, sont restés à l'abri, cachés des médias. Un best seller discret, oxymore à la française ? j'en reste sidérée.
Sans déflorer l'intrigue qui s'étire entre énigme policière et métaphores de la condition humaine, on peut tout de même parler des influences qui construisent le récit. Christelle Dabos s'inspire plus de Marcel Aymé que de Lewis Caroll, des contes de Perrault plus que de ceux des frères Grimm ou du baroque de l'Europe centrale. Il règne, dans l'univers créé par cette jeune écrivaine, un formidable sens logique, classique, Grand Siècle. Cadré. Je viens d'apprendre sans surprise que le père de la romancière est un spécialiste du XVIIe siècle français... Ces livres sont teintés d'or, mais d'un or cartésien. Le personnage principal est une jeune femme, Ophélie, qui tient à son aspect anodin, pudique, peu imaginatif, conservateur, presque incolore. Une des forces du livre est de plonger Ophélie dans un monde d'épreuves chaotiques. Au contact des situations terrifiantes qui jalonnent son parcours, Ophélie, au départ antipathique, un peu mesquine, s'ouvre, se dépasse, s'outrepasse tout en gardant son identité, sa fidélité à sa nature conservatrice. L'amour, très présent dans ces ouvrages, est abordé à la Mme de La Fayette : en filigrane, en esquisse, en ellipse, en intimité à protéger coute que coute. Les passages amoureux n'en sont que plus grandioses. Et le prix sera lourd à payer...
Christelle Dabos aborde le paganisme, la tentation de l'homme-dieu, la menace des totalitarismes - avec un totalitarisme très présent dans ces ouvrages, celui de la Science, celui de l'IA. Sur la planète de la jeune Ophélie on croise des humains et des dieux. Mais Dabos décale l'angle, rendant ses divinités fascinantes : le dieu du Nord, celui des Pôles, ne s'appelle pas Thor ou Odin, mais Farouk. Il a beau être un géant à la blancheur de marbre, son visage reflète une beauté molle, ultra sensuelle ; il n'est que sensualité, il est même prisonnier de ses sens, d'une tendresse hébétée qui tourne à vide. Sur l'arche de la connaissance, règne une Hélène de Troie hideuse et détraquée. Quant au personnage féminin allégorie de la beauté, il est associé à une guerrière maternelle. Tout est trouble, tout est raisonnement face au trouble. L'écriture est d'une précision calligraphique, avec des fulgurants moments de poésie. Entre réel et irréel, l'héroïne valse en funambule, sans humour, mais avec une curiosité aux aguets.
Le dernier tome, le tome quatre, qui clôt la série, est sorti juste avant les fêtes de noel. Je viens de terminer sa lecture avec un gout aigre-doux car la fin, à mon sens, n'est pas à la hauteur de l'aventure, même si Dabos va au bout de son idée. Ce que la série gardait en incarnation vire au cérébral pur, elle oriente son récit final vers la physique-chimie au détriment de la puissance littéraire. Comme si elle en avait assez de son personnage. Comme s'il était devenu trop lourd pour elle. Comme si elle le disséquait sur une table d'opération avant d'en finir au plus vite. En dépit de ce bémol, lisez cette saga séduisante comme une féérie de l'hiver, glacée et brulante, qui fait appel à la mémoire de nos sens, au dolorisme sublimé, à l'évasion par l'imaginaire quand il n'y a plus que lui pour nous sauver.
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C'est étrange, la mort d'un président qui était déjà dans les limbes depuis des années. C'est d'autant plus étrange qu'il fut un homme très incarné. L'homme poreux, l'homme au sourire à fossettes, lesquelles donnaient du style et de la lumière à ses traits trop pointus, l'homme qui se marrait en disant tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, le gaillard bouffeur de charcutailles, celui de la bière au petit matin, le protégé des PDG, le chouchou des gardiennes d'immeubles, le brasseur de femmes, le spécialiste des civilisations lointaines, le roi des vaches et des vacheries a cassé sa pipe.
Tout est prêt pour son éloge funèbre; chacun ira de son Chirac. La Corrèze, le grand Chelem de la mairie de Paris, et enfin, enfin, la magistrature suprême. Eloge d'un parcours au long cours. Le roi est nu, vive le roi.
Les grands escogriffes joviaux autant qu'ambitieux sont rarement des sentimentaux. Ce sont de belles bêtes à concours passionnantes à la maturité triomphante et à la vieillesse atroce.
C'est peut-être par cet aspect de séducteur invétéré que je trouve à Jacques Chirac un coté Maupassant, c'est-à-dire une gaité française.
Nous avons été le peuple le plus gai du monde. Et au pays des gaietés perdues, la figure du grand Jacques reste imprimée dans la rétine, fer de lance d'une gourmandise hexagonale. L'avaleur de têtes de veau à l'oeil au milieu de la joue - phrase inénarrable de ma grand-mère pour qualifier les cavaleurs - a vécu en courant, en embrassant, en brassant, en riant. Avec, peut-être, la phrase de Guy de Maupassant gravée en avertissement, quelque part au fond du crâne :
"Mais le bonheur, mon ami, ça n'est pas gai !"
La fin fut non seulement sans bonheur, mais aussi sans gaieté. Comme s'il avait tout donné n'importe comment. Comme s'il le savait, anar secret conscient de ses failles. Les dernières images de lui et de son couple médiatisé avec sa femme Bernadette sont des images dignes des films les plus noirs de Sacha Guitry - J'hésite entre la Poison et Le Roman d'un tricheur. Deux époux vieillissants qui se mordent en public, une fille dramatiquement perdue, une autre en Electre impassible, et une cour qui se raréfie... rien de glorieux, rien de joyeux. La politique a tout pris.
Alors, se souvenir de la star. Oui, Chirac possédait cette rarissime alchimie (sens inné du contact humain associé à une personnalité naturellement insaisissable, mystérieuse) qui crée, au sens littéral, les stars : quand une personnalité se donne sans compter sans jamais perdre une grande part de secret, elle fascine les foules...
Gardons donc cette gaieté coupante au charme oscillant entre acide et velouté qui n'est pas le bonheur, mais plutôt drôlerie dans la tristesse, telle une allégorie de notre charmant pays.
Reposez en paix, Monsieur le Président.
(Photo de mon cher ami Alain Guizard)
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J’ai terminé « Soif » d’Amélie Nothomb au café, à midi. A coup de grandes gorgées d’eau, tout en me bouchant les oreilles pour éviter d’entendre la conversation odieuse de deux voisines de table.
Je lui donne le Goncourt sans la moindre hésitation; Nothomb est une romancière-née comme son compatriote Hergé est un narrateur né: elle partage avec lui le don de la ligne claire. Si on suit la définition de Colette (« il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne »), les pages de « Soif » possèdent la grâce vulgaire des grands talentueux. Contrairement à son habitude d’écrire de magnifiques premières pages puis, parfois, de s’essouffler et de bâcler un peu ses fins, Amélie bute sur le début, mais offre une conclusion en apothéose.
Ceux qui croient qu’écrire aussi simplement est facile se trompent: il faut des heures et des heures de travail pour offrir une écriture précise et limpide. A l’audace d’un tel sujet - se prendre pour Jesus, rien moins que ça - répond une drôlerie digne du Galiléen.
Champagne, chère Amélie. Il y a presque du Lubitsch dans votre Christ, c’est à dire du dépouillement là où tout le monde voit le rire.
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